Etre femme au Pakistan

Hasard funeste de tournage, mais aussi incarnation odieuse de l'impersonnelle statistique - mille assassinats sont ainsi perpétrés au Pakistan chaque année -, Kubra, l'une des protagonistes du film d'Ergun Ayfer, est aujourd'hui morte. Victime de ces fameux « crimes d'honneur » qui autorisent l'entourage masculin à tuer toute récalcitrante à la soumission. Larges yeux noirs, Kubra avait 28 ans. Décidée à fuir le mari violent imposé par la famille, elle a rejoint le foyer Dastak, créé à Lahore, dans le nord du pays, par un collectif d'avocats. L'occasion d'une pause, d'un toit à même de lui assurer conseil juridique, soutien psychologique... mais aussi rencontres avec sa famille en « terrain neutre ». Et c'est ce qui va la perdre. Cédant aux pressions de sa soeur, qui lui garantit que « personne ne veut la tuer », elle regagne son village. Pour y être abattue par deux coups de fusil de chasse.

Ebranlée par le meurtre de Kubra, la réalisatrice en fait le fil rouge de son documentaire. Recueillant auprès des femmes du foyer les traces sensibles de son passage, elle tisse aussi le portrait d'Anita et de Razia. Deux destins proches et emblématiques qui racontent le mariage forcé à 13 ans, les coups, la famille liguée pour l'honneur, l'essence qui défigure pour punir.

Exercice implacable de témoignages, le film va plus loin. Visiblement hantée, la réalisatrice se rend chez le père de Kubra. D'abord bien disposé, l'homme se cabre : « Celui qu'ils ont arrêté n'est pas le meurtrier. On en est restés là, ça nous allait. Laissez-moi tranquille. Allez filmer ailleurs. » Quant au cousin accusé : « Ce qui sort de la bouche d'une femme, ce n'est pas la vérité. Elles déshonorent leurs familles uniquement pour satisfaire leurs envies. » Epitaphe un rien sommaire.

Marie Cailletet